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Introduction

Désordre

Le temps de l’invention est celui d’une ouverture à ce qui est difficilement pensable, au sens où Jacques Derrida peut dire qu’«une invention suppose toujours quelque illégalité, la rupture d’un contrat implicite, elle introduit un désordre dans la paisible ordonnance des choses, elle perturbe les bienséances1». Alors que le numérique suscite craintes et croyances, n’y a-t-il pas urgence à interroger le présupposé selon lequel l’invention puisse se répandre parmi nous sans «désordre»? Il en est pourtant ainsi dans la plupart des «guides» à destination des concepteurs de programmes numériques, qui visent à établir des listes de normes ou de conseils. En abordant le numérique du point de vue de «l’expérience utilisateur», de tels ouvrages prennent d’emblée le parti des usages. Il s’agit de lister les «bonnes pratiques» afin de ne pas déranger la «paisible ordonnance» (Derrida) des habitudes et des logiques économiques. Ces approches nous paraissent insuffisantes, car elles évacuent d’emblée des considérations philosophiques, morales et, au fond, techniques. Ce qui s’y joue ne permet pas de dépasser ce qu’il y a déjà en jeu. La supposée «révolution» du numérique a-t-elle été avérée, ou ses ruptures sont-elles restées recouvertes? Alors que notre rapport au numérique se fait essentiellement via des programmes, comment penser la pertinence de ces interfaces?

Cette thèse est l’histoire d’un déplacement. Le sujet de départ concernait les modes d’écriture à l’époque du numérique. Il s’agissait d’examiner comment certains logiciels d’écriture pouvaient inférer les contenus des textes écrits par leur biais, et d’analyser comment des programmes pouvaient favoriser des modes d’écritures et de lecture singuliers: liseuses2, téléphones, générateurs de texte, correcteurs automatiques, wikis3, etc. M’appuyant sur des travaux personnels4, il s’agissait alors de penser une articulation entre jeu et philosophie afin de faire place à une approche pratique de la question. Les problèmes méthodologiques rencontrés ont été multiples. Tout d’abord, le corpus des formes de lecture à l’écran ne cessait de grandir5 et il était compliqué d’en dégager une vision singulière. D’autre part, l’articulation pratique-théorie-technique n’était pas éclaircie dans la formulation initiale du sujet, laissant place à une ambiguïté plus dérangeante que constructive. L’intention initiale d’écrire à propos des outils numériques d’écriture s’est alors déplacée vers les logiciels dits de création. Dans l’étude de ces interfaces aux intentions divergentes, la question en suspens était celle des modes d’ouverture et de fermeture des interfaces. La notion qui s’est révélée centrale pour étudier les limites de ces mutations est celle de «programme».

«Programme» apparaît dans le dictionnaire autour de 1680. Dérivé du grec programma, de pro, «avant» et gramma, «ce qui est écrit», programme peut alors se comprendre littéralement comme «ce qui est écrit à l’avance», d’où «ordre du jour, inscription6». Dans la langue française, le mot désigne à l’origine «un écrit annonçant les matières d’un cours, le sujet d’un prix, etc7.». Dès la fin du xviie siècle, il désigne un écrit annonçant et décrivant les diverses parties d’une cérémonie, d’un spectacle, d’une fête. «C’est un écrit qu’on affiche quelquefois et qu’on distribue d’ordinaire, et qui contient le sujet de l’action, les noms de ceux qui la représentent, etc.8». C’est dans cette logique que le terme programme va prendre un sens plus général, pour indiquer «ce qui est annoncé en amont d’une émission ou d’une station de radio» (1933). Il se réfère alors à un objet temporel ayant une valeur collective, susceptible de constituer une masse d’audience (d’où les emplois figurés tels que «grille de programme», «changement de programme», etc.).

Avec la Révolution française (1789), le terme de programme prend le sens d’«exposé général des intentions et projets politiques (d’une personne, d’un groupe)». Ce changement de sens est déterminant, puisque programme en vient alors, par extension, à désigner un ensemble d’actions que l’on prévoit d’accomplir, une suite d’actions que l’on envisage en vue d’un résultat: «Le mot a développé des emplois didactiques en art, économie, architecture et musique avec le sens de base, ‹ensemble de conditions à remplir, de contraintes à respecter›. Il est en concurrence partielle avec plan9.» D’un coup le programme renvoie au prévisible, et surtout on passe d’un ensemble d’actions, sujets, etc., à un regroupement établi en fonction d’une chronologie. Tous les mots dérivés au xxe siècle de programme sont pris dans ce double sens.

La verbe «programmer» proviendrait de l’anglais to programm: «établir un programme». En français, il a pris le sens de «pourvoir (une salle de cinéma) d’un programme». Le verbe passe alors dans le domaine de l’électronique (par un nouvel emprunt à l’anglais), pour indiquer «l’action de préparer un ordinateur en vue de l’exécution d’un programme10». En 1954, Raymond Ruyer définit le programme comme un «ensemble de dispositions déterminant l’ordre de fonctionnement d’une machine électronique11». Le programme se pense alors à la fois du côté de ce qui précède l’écriture (ce que la machine pourra inscrire dans le monde), et aussi du côté de ce qui est mis en place pour produire un effet déterminé. Les «dispositions» du programme règlent une chronologie, organisent un avenir qu’on cherche à anticiper. La valeur du programme sera donc évaluée à concurrence de l’adéquation entre ce qui a été mis «avant», et ce qui se déroulera effectivement. Par analogie, la génétique rependra le terme de programme, avec l’idée de «codage».

Les premières lectures autour des programmes numériques se sont orientées vers des textes fondateurs du numérique, que l’on classe habituellement dans le champ des «computer science». Le logiciel «libre» s’invente avec les possibilités techniques de mise en réseau des connaissances. Internet met en jeu la question de l’origine de l’invention technique, c’est la coexistence de techniques plus ou moins articulées, certes développées par quelques grandes figures, mais surtout par une multitude d’anonymes12. Étudier un ensemble de textes historiques disséminés de la Seconde Guerre Mondiale aux années 90 permet de réfléchir aux mutations des outils de pensée en faisant retour sur des enjeux précédant l’invention des programmes numériques. La thèse s’ouvre ainsi sur l’article «Comme nous pourrions penser13» de Vannevar Bush. Ce texte de 1945 inscrit d’emblée le réseau Internet (encore non réalisé) comme ce qui structure l’organisation des connaissances. La structuration des textes en entités logiques vise à éviter qu’un conflit armé mondial puisse se reproduire. Avec la mise en réseau des textes, ce n’est plus seulement la mathématique abstraite qui figure le monde. L’information14 devient le point central de ces recherches, signal encodé et parfaitement transmissible d’un contenu quantifié. Cette fluidification du sens ne fait pas qu’abstraire le texte de son support matériel. Elle présuppose que toute pensée est réductible à un «message» qu’il s’agirait de transmettre sans encombre à un «destinataire». Les sciences de l’information et les progrès des calculs automatisés donnent naissance au computer (le terme français d’informatique ne rend pas compte de ce double sens). Le passage de l’analogique au numérique permet de traiter des «données», c’est-à-dire d’effectuer des opérations pensées en vue d’obtenir un résultat précis: l’algorithmique est cette science de l’automatisation des calculs. Il s’agit alors de penser ce qui affecte le texte à l’époque du «computationnel15». Avec les «balises» html de description de contenu, le fond est conceptuellement séparé de la forme. Le texte devient alors une entité fluidifiée, susceptible de revêtir de multiples apparences au gré des réceptacles. De l’invention du Web aux «liseuses», nous en sommes encore à peser les conséquences d’une émancipation du texte de son support imprimé. La supposée libération du papier par la numérisation ouvre de formidables possibilités de travail — mais cette nouveauté est aussi l’endroit d’une économie, dans tous les sens du terme.

À partir de réflexions sur les notions de nouveauté technique et de pensée «appareillée», cette thèse se donne comme champ d’étude et comme titre «le design des programmes». Cette intention est donc tout autre chose que de savoir «comment designer» des programmes. Il n’y a pas une seule manière de faire, mais diverses «façons de faire du numérique». Elles sont à analyser, à étudier, à trier — à critiquer. Nous nous proposons comme objectif de travailler à même le langage rebattu parmi nous pour examiner ce qui mérite d’être soutenu, et ce qui est à écarter. Si les façons de parler du numérique qui dominent notre époque ne sont pas pertinentes, depuis quels champs théoriques faut-il penser les programmes? Il est rapidement apparu nécessaire de passer par des détours historiques et philosophiques a priori en rupture avec notre objet d’étude.

Afin de comprendre ce qui se joue dans le passage d’une époque technique à une autre, nous avons essayé de rapprocher les technologies dites nouvelles de ce que Walter Benjamin nomme «authentification». Son essai sur la photographie16 de 1931 peut se comprendre comme la pensée d’un «déclin» des techniques économisées. Depuis cette lecture distancée il est possible de penser que les possibilités techniques d’Internet auraient été retenues, bridées, recouvertes par des interfaces «inauthentiques». Ce que permet de penser Walter Benjamin, dans des termes contemporains, c’est la différence entre invention et innovation. Cette idée interroge directement la prétention du design à mettre au monde des objets nouveaux, ce critère ne pouvant à lui seul assurer la pertinence d’un projet. Ce que dit Derrida de l’invention, «rupture d’un contrat implicite17», puissance de «désordre» et de perturbation, est contesté dans les formes économisées des innovations. Si la programmation a à voir avec un calcul, avec la prévision d’un devenir non encore advenu, comment faire avec la «rupture d’un contrat implicite» qu’engage, pour Derrida, toute invention? Est-ce à dire qu’un certain type de «création» numérique ne saurait être inventive, alors même que prolifèrent ça et là les appels à la nouveauté et à l’innovation? L’étude de l’expression «Web 2.0» permet de comprendre les récentes mutations des programmes numériques. Si le Web s’invente autour d’un décentrement fondateur, son expansion va attirer les convoitises d’entreprises entendant «monétiser» cet espace disséminé. Le «deuxième âge» du Web n’est pas seulement celui de nouveaux «langages» de programmation. Les logiciels se réclamant du «Web 2.0» sont marqués par la mise en réseau des connaissances, et plus encore: des compétences. Les dispositifs de partage et de «participation» sont conçus pour capter le travail invisible des anonymes amateurs. Réduites en «données», les informations non-rémunérées sont dès lors stockables dans des «banques» susceptibles de se refermer à tout moment. De plus, l’actuelle «génération de logiciels18» des terminaux mobiles prend le nom d’«applications», distinction qu’il y a lieu d’interroger.

Le choix de s’intéresser aux programmes numériques s’explique par leur omniprésence quotidienne visible et invisible au sein des environnements de travail dits «créatifs». Quels rapports les programmes entretiennent-ils avec l’idée de création, si l’on prend au sérieux ce que ce terme engage? Cette analyse se base sur trois paradigmes de logiciels «dominants»: Photoshop19, Word et PowerPoint. Ces «outils» peuvent-ils raisonnablement être accusés de «limiter» la pensée, voire de «nous rendre stupide20»? Cette idéologie de la «solution» incarne les contradictions d’une production de «nouveauté» dans un cadre économisé de toute part. L’absence d’efforts d’une création fluidifiée de bout en bout est une «injonction paradoxale» directement encodée au sein de certains programmes. À la lecture de ce que Giorgio Agamben dit du «dispositif21», il apparaît que ces programmes permettent difficilement de réaliser autre chose que ce qui est a été anticipé dans leur conception. Il est cependant possible d’échapper à cette comptabilité permanente par une ouverture à un temps non déterminé. Le concept d’«appareil22» permet ainsi de penser un rapport à la technique qui ne s’effectue pas immédiatement selon le mode de l’emploi. Les notions de réglage et de montage permettent d’exercer une technique dans une «authenticité» non traditionnelle.

La pensée d’un programme qui ne serait pas assujetti à l’usage nous invite à étudier ce qui relie l’humanité à la technique. Quelle pertinence y a-t-il à penser le programme numérique dans l’obsession d’une expérience comblante se déroulant de façon transparente et sans efforts? La figure de «l’homme à l’état de nature» chez Rousseau nous permet de penser la technique comme ce qui fonde une humanité originellement incomplète. Cet homme «comblé» n’est doté ni de langage ni de socialité. Il est ainsi permis de se demander si l’expansion de technologies invisibles et «transparentes» ne participe pas au fond d’un mouvement antitechnique. L’homme ne serait doué de technique qu’à condition de ne pas être programmé.

Pour pouvoir penser un état non fini du programme numérique, nous avons relié sa dimension calculatoire à ce que Yves Bonnefoy nomme «pensée conceptuelle» pour désigner la dangereuse réduction de toute expérience humaine à des abstractions. L’étude de la notion de traduction telle qu’elle est pensée par Walter Benjamin est alors instructive pour envisager un état problématique de «l’original» dans le cadre des programmes numériques. La traduction «déconstruit» l’original en désarticulant ce que l’on pensait stable et acquis. Les programmes permettent alors d’interroger la notion de conception. Si l’on comprend le design comme une activité de projection et donc de pré-vision, comment faire place à ce qui n’est pas encore pensé, à ce qui n’est pas encore pensable? Il nous faut déplacer certains présupposés du design quant à la notion même de projet. Le design des programmes devient l’occasion d’un temps qui ne fait pas que projeter, mais qui prend en compte ce qui est train de devenir — c’est à dire ce qui ne peut pas se prévoir.

Dans un texte portant sur Leibniz, Gilles Deleuze dit de l’extentio qu’elle peut toujours être divisée en parties plus petites extérieures les unes aux autres («partes extra partes») tout en étant reliées à un ensemble plus vaste qu’elles: «Il y aura toujours un Tout plus grand, il y aura toujours une partie plus petite23.» Beaucoup de dissertations et de thèses reposent ainsi sur un découpage en grandes parties, elles-mêmes organisées en sous parties numérotées. Chaque bloc est alors l’occasion de découper la grande question en hypothèses plus petites dans un mouvement d’ensemble dialectique. Dans cette optique, la visée d’une hypothèse finale est inscrite dans l’enchaînement logique des parties. Sans systématiquement remettre en cause une telle organisation, et bien qu’il en reste quelque chose dans notre réflexion, ce type d’écriture ne s’est pas révélé adéquat pour ce que nous cherchons à dire. Au xxe siècle, Freud puis Lacan réfléchissent autour du concept de «trait d’esprit» («witz»). Ce type de réplique, condensation d’un inconscient, possède une valeur en soi qu’il s’agit d’interpréter. Il jette le doute sur la possibilité de parvenir à formuler une pensée continue et unitaire. La récente exposition des «archives» de Walter Benjamin24 était remarquable de ce point de vue. Cette pensée opératoire est toujours à déplier, à reconfigurer. Chaque morceau de feuille peut s’associer avec d’autres dans de vertigineux jeux de montage. On sait que Walter Benjamin recopiait ses fragments séparés sur d’autres supports pour tester des rapprochements signifiants:

À plusieurs reprises, Benjamin a traité les éléments de ses textes selon le principe d’un jeu de construction, il les a copiés, découpés, collés sur une nouvelle feuille et arrangés à neuf, longtemps avant l’établissement de ces procédés dans le traitement électronique sous le nom de « copier-coller », et avant le développement du programme d’ordinateur « Économie des fiches » pour la gestion de notes en tout genre. L’idée benjaminienne d’écrire un travail entièrement fait de citations présuppose la possibilité de tenir à l’écart le matériel noble mobile au sein de la collecte, de déplacer les éléments à volonté. Ce faisant, tout est de même rang au commencement ; le savoir que les fiches sont censées organiser ne connaît pas de hiérarchie25.

D’une façon approchante, Jacques Derrida n’a eu de cesse d’interroger le fait que l’écriture puisse parvenir à une signification univoque. Un ouvrage comme Glas26 manifeste dans le hors champ des colonnes quelque chose qui interpelle le lecteur. Irréductibles l’un à l’autre, les deux textes principaux et leurs encarts écartent le «sens unique» dans une pluralité de voix27: «Là nul chemin n’est déterminé à l’avance, nulle distance n’est supposée, nul enchaînement prescrit28.» En lisant au cours de nos recherches des auteurs comme Walter Benjamin, il nous est apparu que ce type d’écriture était adapté pour penser la dimension imprévue des programmes numériques. Nous avons donc adopté une structure de plan qui ne chercherait pas à calculer ou à anticiper ce qui sera lu. Plutôt que de recourir à une structuration artificielle en deux ou trois grandes parties, nous avons pris le parti d’avérer le caractère hétérogène des «éléments» (et non des parties) de la réflexion. L’enchaînement des textes répond de cette logique heurtée: les analyses historiques alternent avec des développements conceptuels. Ce montage met en tension les parties dans une logique d’ensemble qui fait travailler le lecteur. Si un ordre de lecture est ménagé d’une partie à l’autre, le plan de la thèse s’apparente à un répertoire informatique, tel que l’on peut en trouver sur des sites web contributifs comme GitHub29. Les neuf «entrées» et les deux appendices sont ainsi comparables à des «projets» Git que l’on peut parcourir de façon autonome, dans n’importe quel ordre. La numérotation discontinue, telle une marée, va et vient au gré des époques et des concepts abordés. Mis bout à bout, ces éléments de nature hétérogène dessinent une trajectoire — celle d’un déplacement de pensée.

Le recours à une logique d’écriture transversale s’explique également par le champ conceptuel dans lequel s’inscrit notre réflexion: celui des «cultural studies» («études culturelles» ). D’origine anglo-saxonne, ce courant de pensée revendique la transdisciplinarité comme horizon et répond d’une logique éclatée. Inspiré par des auteurs comme Michel Foucault, Jacques Derrida ou Gilles Deleuze, ce mouvement affirme peut-être tout simplement que les méthodes de pensée n’ont pas besoin d’être affiliées à des disciplines particulières pour être pertinentes. Initié par Lev Manovich30 et Matthew Fuller31 au début des années 2000, le champ des «software studies» se donne ainsi pour tâche de lier la critique des logiciels à des références esthétiques, philosophiques ou anthropologiques. Cette volonté de croiser les disciplines peut s’apparenter à ce que dit László Moholy-Nagy du design: «une attitude, pas une profession32». L’absence de reconnaissance du design comme discipline universitaire serait alors une chance d’échapper à des méthodologies duplicables. En croisant des textes a priori éloignés scientifiquement, le design comme champ de recherche permettrait ainsi de développer des «façons» de penser inattendues. Pour ces raisons, l’incursion au sein de la thèse de références philosophiques à première vue étrangères au champ du numérique permet d’éclairer d’un jour nouveau des objets contemporains. Les considérations techniques et historiques des programmes numériques sont examinées depuis des époques qui, en vérité, nous concernent. Si des auteurs comme Platon, Walter Benjamin ou Hannah Arendt sont évidemment anachroniques au regard de notions comme le «Web 2.0», de marques comme Apple, ou d’initiatives comme les logiciels «libres», le recours à ce type de rapprochement s’est pourtant avéré fructueux au sein de notre étude. Ces auteurs nous permettent de parler pertinemment d’objets et de notions répandus parmi nous. Ces associations non historicistes apparaissent cohérentes d’un point de vue conceptuel pour éclairer certains impensés de la culture numérique. Qu’est-ce que le designer peut faire de ce qui, dans le programme, échappe au prévisible? Repenser la notion de programme ne permettrait-il pas au designer de reformuler ses propres pratiques? Le temps qui s’ouvre alors à la réflexion «introduit un désordre dans la paisible ordonnance des choses33»: les poussées techniques contemporaines remettent en jeu des considérations qui les précédaient.

  1. 1

    J. Derrida, préface à Psyché. Inventions de l’autre, Paris, Galilée, coll. La philosophie en effet, 1987. 

  2. 2

    On appelle «liseuses» les terminaux mobiles de lecture utilisant la technologie dite «d’encre numérique» (e-ink). 

  3. 3

    Un wiki est un programme d’écriture collaborative où chaque page Web est modifiable par un tiers. 

  4. 4

    Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués, esaa Duperré, Paris, 2005, sous la direction de Marie Rochut et Pierre Giner & Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ufr 04 Arts Plastiques, 2007, sous la direction d’Anne-Marie Duguet. 

  5. 5

    Des lieux comme le Labo de l’édition (Paris) et des événements comme la journée d’étude «Lire à l’écran» témoignent de cette actualité. Voir: Collectif, Lire à l’écran. Contribution du design aux pratiques et aux apprentissages des savoirs dans la culture numérique, esad Grenoble-Valence, B42, 2011. 

  6. 6

    A. Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2010. 

  7. 7

    Ibid

  8. 8

    Dictionnaire TLFi/CNRS

  9. 9

    A. Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, op. cit

  10. 10

    Ibid

  11. 11

    Ibid. Voir: R. Ruyer, La cybernétique et l’origine de l’information [1954], Paris, Flammarion, coll. Science de la nature, 1967. 

  12. 12

    Une telle idée était au coeur des discussions de l’émission radio «Internet a trente ans… et tout le monde s’en fout!?», La Grande table, France Culture, 29 janvier 2013, en présence de Caroline Broué, Antonio Casilli, André Gunthert et Dominique Cardon

  13. 13

    V. Bush, «As we may think» , The Atlantic Monthly, Washington, D.C., juillet 1945, traduction de l’auteur. 

  14. 14

    Les «théories de l’information» de Claude Shannon datent de 1948. 

  15. 15

    J.-M. Salanskis, Le Monde du computationnel, Paris, Les Belles Lettres, coll. Encre marine, 2011. 

  16. 16

    W. Benjamin, Petite histoire de la photographie [1931], trad. de l’allemand par A. Gunthert, Études photographiques, no1, tirage à part, 1996. 

  17. 17

    J. Derrida, préface à Psyché. Inventions de l’autre, op. cit

  18. 18

    T. O’Reilly, «Qu’est ce que le Web 2.0?: Modèles de conception et d’affaires pour la prochaine génération de logiciels» [2005], trad. de l’anglais par J.-B. Boisseau, Internet actu, avril 2006. 

  19. 19

    A. Masure, «Adobe: Le créatif au pouvoir?», Strabic.fr, juin 2010, [ En ligne ], http://www.anthonymasure.com/articles/adobe-creatif-pouvoir

  20. 20

    F. Frommer, La pensée PowerPoint. Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Paris, La découverte, coll. Cahiers libres, 2010. 

  21. 21

    G. Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif? [2006], trad. de l’italien par M. Rueff, Paris, Payot & Rivages, coll. Petite Bibliothèque, 2007. 

  22. 22

    P.-D. Huyghe (dir.), L’art au temps des appareils, Paris, L’Harmattan, 2006. 

  23. 23

    G. Deleuze, «Leibniz. Cours Vincennes St. Denis: Fragments — 18/03/1987»

  24. 24

    «Walter Benjamin Archives», exposition au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, du 12 octobre 2011 au 5 février 2012. 

  25. 25

    «Écrivailleries en pièces et fiches. Rassemblement et dispersion», dans: Walter Benjamin Archives. Images, textes et signes [2006], catalogue du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, un travail d’U. Marx, G. Schwarz, M. Schwarz et E. Wizisla, trad. de l’allemand par P. Ivernel, Hambourg-Paris, Klincksieck, 2011, p. 39. 

  26. 26

    J. Derrida, Glas, Paris, Galilée, coll. La philosophie en effet, 1974. 

  27. 27

    Derridex: «Ce texte […] est écrit en double colonne […]: une colonne Hegel, dialectique et une colonne Genet, galactique […]. Entre ces colonnes […], un autre texte, une autre logique, d’autres mots décalés ou inventés. Les deux colonnes sont tronquées, taillées, incrustées, elles se dressent l’une contre l’autre, elles ne communiquent pas, mais elles sont indiscernables. Il y a [dans ce livre] une difficulté particulière, qui ne tient pas qu’au contenu ni à la présentation, mais au rapport texte/autre texte, à leur interpénétration.»  

  28. 28

    M. Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1990, p. 38. 

  29. 29

    GitHub, http://github.com, est un site web utilisant la logique Git qui permet de gérer et de coordonner le développement de programmes numériques. La mise en ligne de «dépôts» (fichiers «versionnés») permet de travailler de façon collaborative et contributive. N’importe qui peut soumettre des reports de bugs («issues») et des suggestions d’améliorations. Il est aussi possible de créer un «fork» (copie) d’un programme afin de travailler dessus séparément. 

  30. 30

    L. Manovich, Le langage des nouveaux médias [2001], trad. de l’anglais par R. Crevier, Dijon, Les Presses du réel, 2010. 

  31. 31

    M. Fuller, Behind the Blip. Essays on the culture of software, New York City, Autonomedia, 2003. 

  32. 32

    L. Moholy-Nagy, «Nouvelle méthode d’approche – Le design pour la vie» [1947], trad. de l’anglais par J. Kempf et G. Dallez, dans: Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie [1993], Paris, Folio, 2007, p. 277. 

  33. 33

    J. Derrida, préface à Psyché, op. cit