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Élément conceptuel 2

Des dispositifs aux appareils

Citant László Moholy-Nagy, Walter Benjamin dit de l’invention photographique que «le potentiel créateur de la nouveauté est souvent recouvert par les formes, les instruments ou les catégories anciennes, que l’apparition du nouveau rend déjà caduques394». L’appareil photographique se répand économiquement par la production de formes «inauthentiques», marquées par le modèle pictural. La nouveauté de l’invention se découvre quand des artistes comme Eugène Atget font paraître la technique photographique dans ce qu’elle a de radicalement différent. Le «potentiel créateur de la nouveauté» de l’appareil photographique s’avère dans des situations où la technique n’est pas mise à disposition d’une finalité donnée d’avance — ce qu’exprime Walter Benjamin en dénonçant «l’impuissance d’une génération devant le progrès technique [de la photographie]». Le rapport à l’abandon de la tradition traverse l’apparition de la nouveauté technique.

[…] ce qui demeure décisif en photographie, c’est toujours la relation du photographe à sa technique. Camille Recht l’a caractérisé dans une belle métaphore : « Le violoniste, dit-il, doit d’abord créer la note, il doit la chercher, la trouver en un éclair, tandis que le pianiste frappe sur une touche : la note retentit. Le peintre comme le photographe ont un instrument à leur disposition. L’usage du dessin et du coloris correspondent à la création du violoniste ; le photographe partage avec le pianiste l’aspect mécanique, soumis à des lois contraignantes auxquelles échappe le violon […]. »395

La pensée d’un art au fait de «l’aspect mécanique» (que nous ne confondons pas avec l’automatisme) nécessite d’abandonner les catégories traditionnelles. Les «lois contraignantes» auxquelles a affaire le photographe sont celles induites par la fixation des faisceaux lumineux, opération qu’il ne peut pas totalement contrôler. C’est donc la «relation [de l’opérateur] à la technique» qui interroge Walter Benjamin. Les contraintes mécaniques sont tantôt occultées, subies, tantôt avérées, inventives. Au-delà des enjeux historiques du développement de la photographie comme art, il est donc permis de penser qu’un même objet technique puisse d’un côté être employé, et de l’autre travaillé. Ce sont ces deux rapports à la technique qui nous intéressent ici. Tandis que l’usage et l’emploi rabattent la créativité dans une «mise à disposition» de la technique, il est d’autres façons de faire qui ne limitent pas a priori ce que nous pouvons inventer. Nous nous proposons d’étudier ces modes d’approche en distinguant les concepts de «dispositif» et d’«appareil» pour envisager différentes façons de faire du numérique.

  1. 394

    L. Moholy-Nagy, 1925. Cité dans: W. Benjamin, Petite histoire de la photographie [1931], trad. de l’allemand par A. Gunthert, Études photographiques, no 1, tirage à part, 1996, p. 25. 

  2. 395

    Ibid., p. 19.